Vendredi, novembre 7, 2008

Claude Bourdin (à gauche) lors de la conférence de la nourriture

Entre abondance et famine: la nourriture, un outil pour la paix

Alors que la crise financière fait la une des journaux chaque jour, une autre catastrophe a lieu en silence : la crise alimentaire. Le mot “crise” malheureusement n'est pas approprié, car il désigne une situation temporaire que l'on améliore avec des aides d'urgence. Nous sommes au fin fond d'un système pourri qui produit en abondance et répand la famine. Cependant il y a un aspect positif que nous ne pouvons plus ignorer. Du 9 au 12 octobre, des agriculteurs, consommateurs et scientifiques venant de 11 pays européens se sont rassemblés à Castel San Pietro, ville italienne près de Bologne, pour répondre aux questions sur la nourriture. Cette conférence était organisée par Initiatives et Changement Italie, Pace Adesso (une organisation italienne pour la paix) et le CEFA (Comite européen pour la formation et l'agriculture). La conclusion en est pleine d'espoir : nous avons tous un rôle à jouer pour trouver la solution.

« Quand nous mangeons, nous n’imaginons pas tout ce que cet acte cache, dit Cristina Bignardi, organisatrice de la rencontre. Notre conférence a lieu au pied des Apennins, là où nous produisons traditionnellement depuis des siècles le jambon de Parme, le Parmesan et le vinaigre balsamique. Mais cela change : nous devons être conscients de phénomènes qui vont de pair avec notre alimentation : les manipulations génétiques, le commerce équitable, les pesticides et leurs conséquences sur la santé, l'environnement, la famine. Notre assiette cache tout un monde restant à découvrir. »

« Nous ne parlons pas seulement de l'alimentation” dit le coorganisateur Piero Parenti, président de Pace Adesso. Il est question de notre style de vie, des valeurs que nous choisissons. » La conférence a permis un mélange constant de problèmes mondiaux, de vie quotidienne et de cuisine italienne à foison.
Un problème complexe n'a pas de réponse simple. Différentes acteurs jouent leur rôle: les agriculteurs, les consommateurs, l'industrie agroalimentaire, les hommes politiques et les scientifiques.

Le consommateur possède une arme puissante: le pouvoir de choisir. Cependant, comme l'a dit Ingrid Franzon, nutritionniste suédoise: “Ce n'est pas seulement une question individuelle car les conséquences de notre choix vont se répercuter sur les autres.” Dans le même sens, Vicenzo Zacchiroli, le maire de Castel San Pietro (sponsor principal de cette conférence) a mentionné la « mondialisation des problèmes... Nous devons sentir que nous sommes des citoyens du monde. »
Lavinia Sommaruga-Bodeo d'Alliance Sud (un réseau suisse d'organisations pour le développement) nous donne un exemple pratique: pour faire naître un sentiment de solidarité, elle a emmené une délégation d'hommes et de femmes politiques suisses au Niger. Elle dit: « Après avoir constaté et fait l'expérience de la famine dans ce pays, nous avons réussi à hisser la sécurité et la souveraineté alimentaire en haut de notre agenda. » Une autre façon d'exprimer notre solidarité se joue dans ce que nous mettons dans notre caddie. Sommaruga dit: « En tant que consommateur nous pouvons nous assurer que les agriculteurs dans les pays en voie de développement obtiennent un prix satisfaisant pour leurs produits. »

Les choix que nous faisons auront des conséquences pour les prochaines générations, et notamment leur santé et l'environnement. De nombreuses contributions pendant la conférence, notamment d'Ingrid Franzon et de Fiorella Belpoggi (Centre européen de recherche Ramazzini à Bologne), ont évoqué les liens nombreux entre la nourriture et la santé. Chacun sait l’importance d’une alimentation équilibrée, même si tout le monde n’en tire pas toutes les conséquences. Les discours des deux participantes étaient inquiétants, en effet selon Mme Belpoggi, notre nourriture contient des produits chimiques non testés. Par exemple, l'aspartame est une menace pour la santé et peut, selon les chercheurs, causer le cancer. Ingrid Franzon nous a montré que l'utilisation de pesticides pendant les 50 dernières années dégrade non seulement la valeur nutritionnelle des aliments, mais crée aussi des dommages de plus en plus importants sur la santé. Les maladies comme le syndrome de fatigue chronique ou de sensibilité chimique multiple et les allergies sont comme les “canaris jaunes” de notre monde. (Dans les mines, on utilisait les canaries pour signaler le manque d'oxygène).

Certains problèmes comme les modifications génétiques dépassent les consommateurs. Même les scientifiques ne peuvent pas nous donner une réponse claire, ce qui est décevant. Deux experts nous ont fait part de leurs opinions divergentes: selon le professeur Silviero Sansavini (université de Bologne), le débat sur le génie génétique est plus politique que scientifique. Il nomme le danger pour la santé et l'environnement - une possibilité lointaine - et souligne la différence entre les multinationales qui abusent de la technologie - comme la compagnie de biotechnologies Monsanto - et la technologie elle-même.

Professeur Giorgio Celli, de la même université, s'oppose totalement à la technologie. « Les conséquences ne sont pas claires. Nous ne pouvons pas revenir en arrière avec cette expérience. » Pr. Celli déclare aussi que le débat scientifique sur le génie génétique n'est pas fiable. « L'industrie finance la recherche. »

Dangereux ou non, les consommateurs ont le droit de savoir si leurs aliments sont génétiquement modifiés. Le droit de choisir et de connaître les produits que nous choisissons est de plus en plus important avec la complexité croissante de la production alimentaire et de la chaîne alimentaire. David Cuming (Canada) a fait campagne pour l'étiquetage des produits génétiquement modifiés pendant des années. La résistance à ce projet de la part de pays comme les Etats-Unis, le Canada et l'Argentine nous fait douter: pourquoi refuser aux consommateurs le droit de savoir si leur nourriture est génétiquement modifiée ?

Du consommateur au rôle des agriculteurs. Après la deuxième guerre mondiale, le slogan “Stop à la guerre, stop à la faim!” a fait naître une politique agricole commune, pilier de l'intégration européenne. Est-ce que l'agriculture peut jouer ce rôle à nouveau, pour l'intégration et contre la faim, au niveau mondial cette fois-ci ?
Il semble que nous ayons besoin d'un nouveau concept de nourriture et d’agriculture pour ceci. « La nourriture n'est pas comme le commerce. Une politique agricole n'est pas une question économique, c'est une question de moralité », dit Claude Bourdin du programme international le “Dialogue entre agriculteurs”.

Dans les années 80 beaucoup de pays en voie de développement ont dû changer leur production alimentaire pour l'adapter à l'exportation de marchandise, comme le café ou le cacao. Dans son discours, l'ancien sénateur italien Giovanni Bersani explique le mauvais impact de cette politique sur les régions rurales des pays pauvres. « Nous avons besoin d'une nouvelle politique internationale pour nourrir 6 milliards d'êtres humains. Les agriculteurs doivent être à l'origine et être inclus dans cette politique, ils y jouent un rôle clé », dit M. Bersani, dont la carrière politique a évolué autour de ces thèmes.

Les contributions du Dialogue entre agriculteurs (venant du Royaume-Uni, de France, de Suisse et de Pologne) nous ont aidé à garder à l'esprit une notion de base: le devoir des agriculteurs partout dans le monde est de produire la nourriture dont le monde a besoin. Les systèmes de subventions, le commerce non équitable et la spéculation rendent cette tache difficile. Il est temps que les agriculteurs retournent à la production locale, pour les marchés locaux. Dans les pays pauvres, les agriculteurs peuvent être un outil du développement, mais également en Europe occidentale leur rôle est crucial. En plus de la production alimentaire, l'agriculture est ancrée profondément dans la culture et l'identité d'une région.

Une rencontre avec des représentants locaux à Sasso Marconi dans les Apennins nous a montré le besoin de sensibilisation. Ils nous ont expliqué la décroissance du nombre d'agriculteurs dans cette région rurale. Alors ils essaient de donner une certaine identité aux produits à travers leurs initiatives pour redonner de la valeur aux agriculteurs. De plus ils soutiennent un nouveau style de vie pour les consommateurs. Un représentant local l'appelle un lot complet: nourriture, santé, culture et justice (internationale).

Nous faisons face à un énorme défi: comment nourrir toutes les bouches dans le monde, et en même temps créer un environnement sain pour les générations futures?
Des rencontres comme celle-ci jouent un rôle crucial dans la réflexion sur ce défi. Après tout chacun dispose d’une partie de la solution, mais nous ne pouvons pas agir seuls. Le dialogue entre les agriculteurs, les consommateurs, les groupes environnementaux et les scientifiques est fondamental pour forger une image réaliste et avancer pas à pas vers la solution.

Par Irene de Pous